Cour de cassation, le 03 octobre 2024, Pourvoi n° 21-20.979
À retenir :
- Sur le respect au Règlement Général sur la Protection des Données personnelles (RGPD) :
La Cour de cassation précise :
- Il est possible que le juge ordonne de communiquer des données à caractère personnel dans le but de prouver l’existence d’une discrimination syndicale.
- Cela est conforme à la loi au sens des articles 6 et 23 du RGPD (Sur les conditions de traitement des données à caractère personnel et sur les limitations prévues pour le droit à l’information).
La Cour de cassation énonce que « la communication par l’employeur, ordonnée par le juge, de documents contenant des données personnelles, tels que les historiques de carrière et les bulletins de paie des salariés nommément désignés, et leur mise à disposition d’un salarié invoquant l’existence d’une discrimination syndicale à titre d’éléments de preuve, répond aux exigences de licéité au sens des articles 6 et 23 du RGPD ».
- Sur le principe de minimisation des données à caractère personnel :
La Cour de cassation rappelle les règles pour pouvoir transmettre des données personnelles :
- Il faut respecter le principe de minimisation des données à caractère personnel.
- Les parties peuvent uniquement utiliser les données personnelles qui sont utiles à la preuve.
- Les parties peuvent uniquement utiliser les données personnelles pour l’action en discrimination.
La Cour de cassation rappelle que le juge doit porter une attention particulière au principe de minimisation des données personnelles transmises qui doivent être strictement adéquates, pertinentes et indispensable à la finalité recherchée.
Pour aller plus loin :
Sources :
Décision - Pourvoi n°21-20.979 | Cour de cassation
CHAPITRE II - Principes | CNIL
CHAPITRE III - Droits de la personne concernée | CNIL
Faits :
Un salarié est embauché en 1982. Il exerce des mandats de représentation du personnel depuis 1992. Il saisit le Conseil des prud’hommes (CPH) afin d’invoquer une discrimination syndicale.
Le CPH ordonne à la société de produire les historiques de carrière de neuf salariés nommément désignés, ainsi que leurs bulletins de salaire de décembre de chaque année sur les dix dernières années d’exercices à compter de 2018.
Il ordonne également à l’employeur de justifier la communication des documents au salarié.
L’employeur conteste ce jugement.
- Position de la Cour d’appel :
Elle rejette la contestation de l’employeur. Elle rappelle que le salarié peut comparer son évolution de carrière à celle de collègues engagés dans des circonstances équivalentes.
Elle juge que, dans ce cadre, la production d’éléments portant atteinte à la protection des données à caractère personnel est indispensable en précisant que c’est l’unique moyen pour le salarié d’exercer son droit à la preuve.
- Pour la Cour d’appel, l’atteinte à la protection des données à caractère est proportionnée au but poursuivi, c’est-à-dire prouver la discrimination.
La réponse de la Cour de cassation :
Elle CASSE ET ANNULE l’arrêt de la Cour d’appel.
Elle estime que la Cour d’appel n’a pas respecté les règles de minimisation de données personnelles transmises.
Elle énonce que :
« 60- En matière prud'homale, conformément à l'avis de la chambre sociale, il appartient au juge saisi, à l'occasion d'une action engagée devant un conseil de prud'hommes par un salarié alléguant des faits de discrimination, d'une demande de communication de documents contenant des données à caractère personnel aux fins de caractérisation et de réparation de la discrimination :
- d'abord, de rechercher si cette communication n’est pas nécessaire à l'exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi, eu égard aux principes rappelés aux paragraphes 25 à 27, ensuite, si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte à la vie personnelle d'autres salariés, de vérifier quelles mesures sont indispensables à l'exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitée ;
- de cantonner, au besoin d'office, le périmètre de la production de pièces sollicitées au regard notamment des faits invoqués au soutien de la demande en cause et de la nature des pièces sollicitées ;
- de veiller au principe de minimisation des données à caractère personnel, en ordonnant, au besoin d'office, l'occultation, sur les documents à communiquer par l'employeur au salarié demandeur, de toutes les données à caractère personnel des salariés de comparaison non indispensables à l'exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi ; pour ce faire, il lui incombe de s'assurer que les mentions, qu'il spécifiera comme devant être laissées apparentes, sont adéquates, pertinentes et strictement limitées à ce qui est indispensable à la comparaison entre salariés en tenant compte du ou des motifs allégués de discrimination ;
- de faire injonction aux parties, eu égard aux principes rappelés aux paragraphes 51 et 52, de n'utiliser les données personnelles des salariés de comparaison, contenues dans les documents dont la communication est ordonnée, qu'aux seules fins de l'action en discrimination.
61-En l'espèce, pour ordonner à la société de produire des historiques de carrière et des bulletins de salaire de neuf salariés nommément désignés et de justifier de ce qu'elle les a communiqués contradictoirement à M. [R], l'arrêt retient que le conseil de prud'hommes a ordonné la communication d'historiques de carrière ainsi que de bulletins de salaires à M. [R] afin que ce dernier puisse exercer sa défense, que dans le cadre de l'exercice de ce droit, il est admis que le salarié peut comparer son évolution de carrière à celle de collègues engagés dans des circonstances équivalentes et qu'ainsi, la production d'éléments portant atteinte à la protection des données à caractère personnel est non seulement indispensable mais aussi l'unique moyen pour M. [R] d'exercer son droit à la preuve et cette atteinte est proportionnée au but poursuivi, en l'occurrence, l'exercice de sa défense par le salarié.
62- En statuant ainsi, alors qu'il appartient au juge de procéder au contrôle énoncé au paragraphe 60, en particulier en veillant au principe de minimisation des données à caractère personnel et en faisant injonction aux parties de n'utiliser ces données, contenues dans les documents dont la communication est ordonnée, qu'aux seules fins de l'action en discrimination, la cour d'appel a violé les textes susvisés.»
Cette jurisprudence est intéressante pour connaître les limites du RGPD pour le droit à la preuve notamment en matière de discrimination syndicale.
« En effet, en cas de litige, le salarié qui allègue une discrimination dans son déroulement de carrière peut, pour prouver ses dires, s’appuyer sur un panel de comparaison avec d’autres salariés placés dans une situation équivalente (Cass. soc., 7 nov.2018, nº 16-20.759 D).
Pour constituer celui-ci, le juge peut ordonner à l’employeur de communiquer au salarié des documents qui concernent d’autres membres du personnel de l’entreprise (Cass. soc., 16 déc. 2020, nº 19-17.637 B).
Lorsque ceux-ci comportent des données personnelles, il doit s’assurer du respect des prescriptions du Règlement UE nº2016/679 du 27 avril 2016 dit « règlement général sur la protection des données » (RGPD), en procédant à un contrôle de proportionnalité spécifique dont la Cour de cassation détaille les modalités dans cet arrêt du 3 octobre 2024.
Le juge doit, dans ce cadre, porter une attention particulière au principe de minimisation des données personnelles transmises qui doivent être strictement adéquates, pertinentes et indispensables à la finalité recherchée (RGPD, art. 5 § 1). » Article Juridique - Liaison sociale – 15 octobre 2024